Rainer Ptacek

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Pour s’être volontairement tenu à distance, avoir joué à la bordure de plusieurs genres, et parce que son nom n’a été que brièvement associé à un style, dit « Desert rock », donc pas vraiment de nature à attirer les foules, Rainer Ptacek demeure pour le plus grand nombre un inconnu, et pour quelques initiés un objet de culte.

Ce virtuose est pourtant un des maîtres contemporains de la guitare slide. Et un musicien d’une sensibilité peu commune, qu’un destin douloureux est venu encore exacerber.

Rainer Jaromir Ptacek est né à Berlin Est, le 7 juin 1951, dans une famille aux ascendances tchèques. Ses parents rejoignent les Etats Unis alors qu’il est encore un tout jeune enfant et passe son adolescence dans la banlieue sud de Chicago. Il abandonne le violon pour la guitare lorsqu’il se rend compte qu’aucun des Beatles ne joue du premier. Il découvre le blues, d’abord à travers les groupes anglais (Fleetwood Mac, Bluesbreakers, Rolling Stones), puis en remontant les pistes, via Muddy Waters, jusqu’à Son House et Blind Lemon Jefferson. Il est surtout marqué par JB Lenoir et Robert Johnson avec l’univers duquel il développera, au fil du temps, une affinité toute particulière.

Entraîné par un ami, il rejoint Tucson (Arizona) en 1972 où il s’installe et devient réparateur de guitares, activité qu’il n’abandonnera jamais, retournant chaque jour, humblement, à ses instruments, en parallèle à sa vie de musicien.
C’est une fracture du petit doigt qui l’oriente vers la slide. Il s’exprime avec l’électricité d’abord, puis le plus souvent, et pour finir exclusivement, avec le seul soutien du résonateur d’une « Dobro » ou d’une « National Steel », dont il s’ingénie à enrichir le vocabulaire en allant chercher des notes et des accords bien au-delà des styles qu’il aborde.

Avant de devenir cet artisan paisible mais indépendant, entendu le plus souvent en solo, il joue avec le Band Of Blacky Ranchette et fonde, avec Howe Gelb, le groupe « Giant Sandworms ». Ce dernier deviendra, raccourci en « Giant Sand », le chef de file d’un courant musical dépouillé à tendance mélancolique dont les « Calexico » et autres « Friends Of Dean Martinez » seront, dans les années 90, les réincarnations plus visibles, et Ry Cooder une sorte d’ascendant.

Mais à la fin des années 70, Ptacek, décide de ne pas s’éloigner de sa jeune femme, Patty, et de leurs enfants. Il ne suit donc pas le groupe quand ce dernier rejoint New York. Cette décision va le cantonner à la scène locale et à l’anonymat. Elle va aussi nourrir son art.

C’est sous forme de trio, « Rainer & Das Combo », soutenu par Ralph Gilmore et Nick Augustine, qu’il s’exprime pendant six ans, suscitant l’admiration de nombreux musiciens. A commencer par Ry Cooder en personne, ou encore Billy Gibbons, le leader des ZZ Top., qui le repère un jour au Nino’s, un bar local où il se produit. Leur rencontre donnera naissance aux « Texas Tapes » (1995, sur Demon).

Les premiers enregistrements de Rainer Ptacek (« Barefoot Rock » enregistré en1986, édité en 1995 chez Avid) circulent sur des bandes, de main en main, au milieu des années 80, et témoignent de l’univers original que « Das Combo » véhicule pendant cette période au cours de laquelle il collabore aussi avec l’excellent « Green And Red » de Chuck Prophet et Dan Stuart.

Ces années « électriques» révèlent un jeu de slide dense, intense, où chaque note semble taillée dans un air épaissi. Une attaque de corde affilée et un grain mi rouillé mi clair qui font penser au Ron Wood – hélas englouti – de la période Faces. Et déjà ces moments éthérés, ces langueurs gracieuses qui signent le jeu de Ptacek.

Il faut entendre sa version étirée et hantée du « Me And The Devil » de Robert Johnson pour mesurer le genre de défiguration créative dans lequel l’homme excelle. Une sorte de Neil Young du Sud.

Rainer Ptacek participe, en 1993, à l’album « Fate Of Nations » de Robert Plant, épisode qui va sceller une grande amitié entre les deux hommes.
Ptacek enregistre son premier disque sous son nom en 1994. Avec un titre, « Worried Spirits », étrangement prémonitoire. La critique est louangeuse. Le second album « Nocturnes » sort en 1995. Strictement instrumental et d’une facture plus européenne, il comprend notamment une reprise étonnante du « Within You, Without You » de Georges Harrison.

Son jeu combine les influences deep blues de Robert Johnson aux ambiances romantiques du finger-picking folk, les fêlures de Billie Holiday à l’élasticité mélodique de Willie Nelson, ce qui en fait un musicien original, dans la veine d’un Roy Buchanan. On pense aussi au sens du temps si particulier de John Fahey.

S’il n’est jamais loin du Delta, lui refuse d’être assigné à résidence. Perpétuel chercheur de son, il réfute les catégories et les sanctuaires, allant jusqu’à découper des boucles de trésors anciens pour les faire tourner en loops derrière ses traits de slide aériens, ou bien opérant des manipulations électroniques hardies dont il recueille les échos entre les murs de la petite église de San José qui lui sert le plus souvent de studio d’enregistrement.

Personnalité attachante, à la fois humble et mystique, poète et humaniste, Ptacek écrit des textes inquiets, remplis de spiritualité sincère et de tristesse douce. Des paroles qui prennent une dimension autrement poignante lorsqu’on les entend aujourd’hui. Sa manière apaisée donne à son chant, sur certains titres, sachant ce que l’on sait, et sous son timbre frêle, un impressionnant pouvoir émotionnel.

Fin 1995, alors qu’il se rend à son travail au magasin Chicago Store où il n’a jamais cessé de réparer des guitares depuis vingt ans, Ptacek est victime d’un accident de moto. Une épaule endommagée, rien de grave. Mais à cette occasion on lui découvre une méchante tumeur au cerveau, déjà inopérable. Sans assurance médicale, il est incapable de faire face au coût des soins. Howe Gelb, l’ami de toujours, et Robert Plant organisent des concerts et enregistrent avec lui un album tribute (« Inner Flame ; Rainer Ptacek Tribute », Atlantic – juillet 1997) pour le soutenir financièrement. On y retrouve le guitariste en compagnie de grands noms (Jimmy Page, Emmylou Harris, PJ Harvey, Madeleine Peyroux, Jonathan Richman,..).

Cela lui permet de suivre un traitement qui semble provoquer une rémission. Rainer Ptacek remonte sur scène, à commencer, en décembre 1996, par celle du Du Val Auditorium du Centre Médical Universitaire où il a été soigné, en remerciement à tous ceux qui l’ont aidé, et faisant à cette occasion chavirer son public par son jeu d’une beauté habitée. Un autre concert, au mois de juin suivant, donnera lieu à l’album « Live At The Performance Center », sorti sur Glitterhouse en 2001.

Mais Rainer Ptacek n’aura pas le temps de retourner en studio. La maladie s’impose à nouveau durant l’automne1997. Il reprend une dernière fois le chemin de son atelier, écrit une ultime poignée de chansons – dont le témoignage, « The Farm », fait entendre la beauté dépouillée d’une musique jouée au bord du précipice par un artiste conscient du vide au-dessus duquel il se tient alors – et meurt, quelques semaines plus tard, âgé seulement de 46 ans.

Cette fin prématurée, ainsi que la réputation dont il jouissait auprès de nombreux musiciens, ont depuis contribué à l’émergence d’un véritable culte envers ce guitariste slide parmi les plus passionnants de l’univers blues et rock contemporain.

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