Joe Louis Walker

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En musique, l’art du tout-en-un ne fait pas l’unanimité, loin de là. Mélanger déconcerte et même souvent irrite. Joe Louis Walker, lui, en a pourtant fait son gagne pain. Une voix tout terrain, une guitare qui balaie une bonne partie du champ blues, de Fred McDowell à Jimi Hendrix, et une collection de compositions personnelles relevant d’une encyclopédie de la musique afro américaine. Le tout revisite un bon demi-siècle de styles repris dans l’esprit et jamais loin de la lettre. A part Etta James, on voit mal d’autres brasseurs aussi décomplexés.
Car il ne faut pas s’y tromper, Walker n’est pas un simple touche à tout. L’homme qui manie ces genres avec une aisance confondante a le vécu des terrains qu’il fréquente. Son éclectisme n’est pas de surface. Son jeu de guitare, qui puise dans la qualité de découpage d’un Fred McDowell, peut atteindre la concision des griffures blues les plus tranchantes, façon King (les trois) même s’il ne semble jamais autant se régaler que lorsqu’il reprend l’art démonstratif d’un Luther Allison. De ses débuts quasi psychédéliques il garde aussi ce goût des grandes embardées instrumentales et l’usage de quelques effets triturant le signal. Et c’est encore le même homme qui manipule une slide engagée et restitue un peu des drives tendus de l’école du Mississippi.
Comme, en plus, on a affaire à un infatigable pèlerin, le résultat donne au blues contemporain un ambassadeur capable d’allumer aux quatre coins du monde une bonne part des feux que la braise blues porte encore en son sein.
Pour cela il dispose de tous les atouts. Excellent sur le manche, c’est également un chanteur redoutable. Sa voix, timbrée à Memphis, période Stax, est capable de faire dans le décoffrage façon shouter texan où de taquiner les dérapages hululés d’un Wolf ou d’un Buddy Guy. Dans tous les cas elle se révèle imprégnée de cette ferveur travaillée par dix années de retraite Gospel. C’est aussi, et la chose est plus rare, un compositeur prolifique, dont le répertoire personnel n’a pas vraiment d’équivalent quantitatif dans le blues contemporain si l’on considère hors concours le spontobeat de Walter Tore.
Reste pourtant l’épineuse question de la conformité de son blues. Si personne n’en conteste l’étiquette, celui que livre Walker a ses détracteurs. Trop tape à l’œil, trop marchandisé, trop clinquant. Bref trop commercial. Walker serait donc une sorte de Clapton noir. Eternel débat. Le succès ne départagera pas les opposants sur la question, bien au contraire.
C’est au travers de la collection de 78 tours de ses parents, ouvriers agricoles débarqués de l’Arkansas pour cueillir des fleurs, que ce natif de San Francisco découvre les blues de T-Bone Walker, B.B King et Howlin’ Wolf ainsi que le boogie woogie des Meade Lux Lewis et Amos Milburn. Il se met à la guitare à quatorze ans et monte sur scène à seize, après avoir quitté le cocon familial, pressé de voler de ses propres ailes.
Il monte un group de rhythm & blues avec de vagues cousins mais fréquente aussi les repères folks à la recherche d’un peu de musique traditionnelle. C’est comme ça qu’il atterrit à Haight-Ashbury, rare noir au milieu de la faune hippie, côtoie quelques stars (Jimi Hendrix, Grateful Dead, Steve Miller, Lightnin’ Hopkins, Earl Hooker, Magic Sam) et partage finalement la chambre d’un certain Mike Bloomfield alors guitariste de l’Electric Flag. Les deux fréquentent Oakland, la banlieue noire de San Francisco, où le blues se perpétue dans le plus grand anonymat.
Walker est doué et la musique permet tout au cœur d’une West Coast en plein trip sixties tardives. Pendant quelques années il brûle la chandelle par les deux bouts, branche sa guitare sur le rock psychédélique, monte sur scène en ouverture de grands noms (Muddy Waters, Freddy King) et en fréquente certains de près (Lowell Fulson, Fred McDowell).
En 1975, Joe Louis Walker décide soudainement de changer de vie. Un de ces revirements qui saisissent volontiers les âmes des bluesmen pour les rappeler à l’ordre. Il décroche, se plonge dans les Ecritures et intègre un groupe de Gospel fondamentaliste, les Spirituals Corinthians. Des dix années de cette retraite volontaire ne reste aujourd’hui qu’un album enregistré en 1980 (“God Will Provide”).
En 1985, le blues se rappelle brutalement à lui et, tout aussi impérativement qu’il l’avait quitté dix ans plus tôt, Walker lâche un soir les Corinthians à la sortie d’une prestation au Jazz & Heritage Festival de New Orleans. Le producteur Bruce Bromberg, qui cherche à exploiter le filon Robert Cray, est passé par là. Walker monte aussitôt un nouveau groupe, les Bosstalkers.
Son premier album sort en 1986 (“Cold In The Night” – Hightone). Un blues sincère et imprégné d’une touche de soleil californien qui révèle un Walker sûr de son fait. Il est suivi en 1988 par “The Gift”, un de ses disques majeurs avec “Blues Soul” (Hightone, 1989). En y ajoutant les “Live At Slim’s” qui sortent en série en 1991 et 1992, on obtient, sous le label de ses débuts, la période qui, pour certains, restera sa plus authentique et donc sa meilleure. Les deux Handy Awards d’artiste de l’année qu’il reçoit, en 1988 et 1991, sont là pour appuyer cette thèse.
Repéré en Europe, Joe Louis Walker commence à apparaître dans les festivals les plus fameux (Montreux, North Sea, Glastonbery, Nice, Nottoden,..). Sa carrière est lancée et désormais il ne s’éloignera plus de sa voie.
En 1993, il passe chez Polygram, sur le label Verve/Gitanes. Un premier album, “Blues Survivor”, délaye un peu son concentré habituel et annonce les tendances à venir : allongement des titres et diversification des ambiances. Les influences gospel, jazz, soul, funk et même rock vont désormais pointer plus clairement à la surface.
Signe qui ne trompe pas, cette même année, Joe Louis Walker figure sur la liste des invités du prestigieux “Blues Summit” de B.B King. Certes son nom apparaît en avant dernière position sur la pochette-affiche de l’album, mais cette présence aux côtés des John Lee Hooker, Buddy Guy, Etta James, Lowell Fulson, Albert Collins ou Koko Taylor, signifie que Walker est désormais en vue.
Il est invité par les télévisions et dans les cérémonies – on le retrouve aussi bien à poser avec George W. Bush qu’aux côtés du couple Clinton – ce qui alimente une image de fournisseur officiel de blues médiatique. Comme c’est en plus un infatigable globe-trotter, c’est presque logiquement que Walker va progressivement apparaître sur la liste des candidats à la relève de l’intouchable B.B King dans le rôle d’ambassadeur mondial du blues. Toute question de légitimité mise à part.
Car si Polygram a réussi la mise sur orbite de Joe Louis Walker, c’est cependant au prix de quelques concessions à l’orthodoxie. Sauf à y voir le signe que le blues a enfin remis la main sur un véritable innovateur. Imagination ou compromission ? La question ne fait que commencer à être posée pour Joe Louis Walker.

La sortie de “JLW » en 1994, puis de “Blues At The Month Club” en 1995, sur lequel apparaît le légendaire Steve Cropper, confirment en tous cas les précédentes options marketing. Pour autant, ce polissage de bon aloi sur disque s’efface sur scène où les Bosstalkers dégainent toujours un blues à fort impact. Et en 1996, un troisième W.C Handy Award, cette fois de meilleur groupe de blues contemporain, vient récompenser Walker et son combo.

“Great Guitars” (Polygram, 1997), une des meilleures ventes blues de la décennie, et son successeur, “The Preacher And The President” (Polygram, 1998), creusent l’option œcuménique retenue par un Walker qui, conforté par les sondages, refuse toute idée de spécialisation. De Bentonia à Chicago, entre funk rock et gospel jazzy, le blues puzzlé de Walker colle à la façon contemporaine de zapper les distances, d’équaliser les sensations, d’assembler le coq et l’âne, et finalement de savourer un peu de tout sans risquer de se perdre dans rien. Pour avoir réussi à faire tenir ses influences ensemble, en bon équilibre, sans trop concéder à l’essentiel de chacune, Joe Louis Walker se présente au tournant du siècle et plus que jamais comme un incontournable, sinon incontestable, porteur du flambeau.
Désormais le californien baroudeur profite de chaque session studio pour revisiter les grandes heures de ses musiques préférées. Du coup sa production discographique, bourrée d’invités, prend désormais des allures d’albums de photos de famille. Et si les plus exigeants s’impatientent toujours de cette impression de simplement butiner dans des souvenirs, le plus grand nombre ne boude pas son plaisir de pouvoir plonger dans tous ces univers en son digitalisé.
“Silverstone », qui sort en 1999, prend cependant les sceptiques à contrepied et reçoit les louanges de la critique. Exercice solitaire au dobro, harangues féroces entrecoupées d’harmonica tranchant, sans oublier quelques glissés sauvages de slide, l’album rétablit le downhome blues comme l’évidente pierre angulaire de l’art de Walker.

Après une pause inédite de trois années sans enregistrer, Joe Louis Walker reprend de plus belle avec pas moins de trois disques mis en boîte durant la seule année 2002. Le premier “In The Morning”, produit par Telarc, fait entendre le guitariste revenu à plus de concision et c’est l’esprit de Memphis et de son rhythm & blues pugnace qui baigne ce bon cru. Pasa Tiempo”, le second, ajoute des saveurs latines à un tour plus jazzy. Et pour faire bonne mesure le dernier, “Guitar Brothers”(JSP), le présente en compagnie d’Otis Grand pour un set dynamique truffé de duels de guitares à l’ancienne.
Rien ne semble pouvoir désormais ralentir Joe Louis Walker qui remplit sans discontinuer bacs et salles de concert quand bien même le blues n’occupe plus le devant de la scène musicale. En 2003, « She’s My Money Maker » (JSP) prolonge la formule d’un combo resserré lancé sur des compositions up tempo qui font la part belle à la slide vigoureuse de Walker tandis que son successeur “New Direction” (Provogue, 2004) creuse le sillon soul et recueille de nouveaux satisfécits. Enregistré à Paris, “Playin’ Dirty” (JSP, 2008) revient à une palette élargie : une bouchée de swamp par-ci, une tranche de rock’n’roll façon Chuck Berry par-là, un concentré de jump blues et pour conclure une slide dans son plus simple appareil, comme posée en plein milieu d’une plantation du Delta malgré son titre clin d’œil de « From The Projects To Paris ».
En mars 2008 survient une rencontre presque évidente. Joe Louis Walker signe chez le canadien Stony Plain Records où œuvre également Duke Robillard. Les deux hommes ne pouvaient que s’entendre et Duke produit quelques semaines plus tard “Witness to the blues” puis récidive l’année suivante pour “Between a rock & the blues”, deux nouvelles démonstrations de l’étonnante maîtrise stylistique de Walker.
Le californien, dorénavant installé à New York, ne semble pas devoir lever le pied de sitôt, alors qu’il a déjà bouclé un long parcours, en studio comme sur scène. Une trajectoire d’une densité rare sur le plan statistique, une présence incontournable dans le paysage du blues contemporain. Reste à chacun à apprécier jusqu’où l’usage de quelques additifs reste tolérable en matière de blues et dans quelles conditions se goûte le mieux des cuvées aussi capiteuses.

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