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Voici la version herbivore des White Stripes. Lui au picking, elle derrière son fût. Un duo lo-fi, aux allures d’amoureux de Peynet, qui sonne façon Moldy Peaches mais pioche sa musique dans les mêmes vieux grimoires que Jack et Meg. Cela fait quatorze ans qu’ils écoulent leur « urban avant roots’n’blues » sous la forme d’une mini coopérative ouvrière, accueillant de temps à autre un troisième larron pour marquer le basses. Sidestreet Reny fait dans la restauration de vieux airs vernaculaires remontés du sud profond et la confection de copies d’ancien qu’on jurerait que c’est des vrais. Ici tout est d’avant-guerre au point que ça en devient d’avant-garde.
C’est en chatouillant une vieille gratte à résonateur et une authentique planche à laver que ces Bonnie & Clyde version pacifique ont commencé à semer leurs petites chansons, histoire de refaire le monde en plus beau. Ils sont californiens, mais pas vraiment côté plage, même si leur blues minimaliste se teinte ici où là de bouffées de calypso ou de quelques couleurs jamaïcaines.
J. Renard Collette, dit Reny – ou encore J-Sun ou Jason Fine – a vingt ans de métier derrière lui. Du folk au hip-hop en passant par le reggae, il a exploré la musique des humbles. A douze ans, il se faufilait dans des concerts punks. A quatorze, il craque pour le Grateful Dead de Jerry Garcia et à seize, il parcourt l’Europe avec un numéro de skate-rap sponsorisé .Un troubadour fringué comme un hobbit qui trimballe sa sono dans un sac à dos. Les scènes qu’il a fréquentées ne font pas dans le prime time et il y a croisé d’autres spécimen plus urbains et radicaux comme A Tribe Called Quest, Gang Starr, Xanax 25, Bass and Trouble, Culver City Dub Collective, Paula Fuga, et Ice Cube.
Marybel Landaetta, dite Lil’Bell, et compagne de Reny, s’occupe du tempo et assure les harmonies, dans la lignée de ces nouvelles filles qui roulent leur caisse dans la formule deux plats qui s’est désormais intercalée entre le one man band forain et le trio façon club. Quant à Billy Fuller, dit Bako Billy, c’est justement dans cette configuration rallongée, Sidestreet Reny & Co, qu’il est arrivé en 2003, sur la pointe de sa contrebasse, pour se mêler régulièrement à leurs affaires.
Leur montre s’est définitivement arrêtée à la fin des années 30. A l’heure du son digital et des mélodies pro-tool, la petite famille de Reny semble, elle, sortir tout droit d’un medecine show. Ils revisitent sans complexe un répertoire à faire chavirer la Librairie du Congrès. Si le blues du Delta y est omniprésent et encore joué à l’ancienne, il est parfois pimenté de quelques accents caribéens, eux mêmes servis straight ou décalés, c’est selon. Une musique sépia qui navigue entre du Corey Harris sans les cordes neuves et certains moments intimistes des Casady/Kaukonen de la grande époque d’Hot Tuna. On pense aussi au joli travail que fait C.W Stoneking du côté de Melbourne.
Au menu, quelques classiques choisis derrière les fagots et des compositions personnelles qui ne dépareillent pas. Les premiers sont joués sans bousculer les tombes : « Dying Crapshooter Blues » de Blind Willie McTell, « All Around Man » ou « Twist It Baby » de Bo Carter, le « Canned Heat Blues » de Tommy Johnson. Certains standards sont radicalement revisités, comme cette astucieuse version laid-back du « Come On In My Kitchen » de Robert Johnson. D’autres fois Reny ragamuffinne doucement en solo pendant que sa Bell harmonise de-ci delà en tricotant (vraiment) sous une prise de courant. Compositeur exclusif de l’équipe, J.Renard peut aussi concocter de petits airs pop imparables (« Jeannie ») où des ballades reggae à faire pâlir Bob Marley (« Early In The Morning »).
Ce mélange d’old time et de groove urbain est joué sur du matériel depuis longtemps sorti des inventaires : une National Triolian 1932 pour monsieur, deux caisses en kit et un washboard de brocante pour madame, plus une bonne vieille upright basse pour syncoper tout ça quand il y a assez de place pour le troisième entre le bar et le mur du fond. Et le tout servi dans un style brinqueballant avec un look tout droit sorti d’un court métrage Vitaphone des années 30.
La formule ravit la Toile mais n’affole pas les labels. Six albums auto produits jalonnent pourtant le parcours de la micro compagnie. Que des titres qui parlent d’eux-mêmes : « Medecine Show » (1998), « The Road Less Travelled » (2000), « Roots Reality » (2004), « Tonal Tonics & Musical Elixirs » (2005) et leur dernier, “Not Seen The Light Of Day”, sorti début 2008 et enfin repéré par la critique.
La sous exposition ne semble pas gêner outre mesure les Sidestreet Reny, plus habitués à fréquenter les faunes d’arrière-cours que les couloirs du showbiz. Depuis douze ans ils voyagent de chaque côté de l’Atlantique, sur les circuits bis, entre cafés concerts, festivals de rue et scènes alternatives. Ils passent sur les radios branchées de plusieurs continents et suivent leur bonhomme de chemin sur Internet. Une forme de consécration, à la fois planétaire et marginale, qui s’instaure de bouche à oreille et installe gentiment leur look dorénavant inventorié dans les catalogues des agences publicitaires.
Du coup on pourrait, mais faut-il le souhaiter, retrouver un de ces jours, sur un bande son de spot télévisé, un de leurs blues gentiment alternatifs et élégamment toastés.