Layla

Layla Eric Clapton
huile-toile, 61x50

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Pour avoir été un peu vite confondu avec Dieu par une jeunesse anglaise en quête d’idoles électriques, Eric Clapton n’en finit pas, quarante cinq ans plus tard, d’arpenter le purgatoire des musiciens à la rédemption toujours différée. « Slowhand » est-il un bluesman ? Etat des lieux.

Trop blues pour les rockers, trop rock pour les puristes, beaucoup trop riche pour les deux. Des millions de fans ne jurent que par lui mais les spécialistes boudent sa versatilité musicale, discutent l’originalité de son jeu ou s’interrogent sur la portée de sa voix. Alors, qui est le vrai Clapton ? La conscience blues du rock sixties (« Five Live Yardbirds », 1964), le Freddy King blanc période Mayall (« John Mayall’s Bluesbreakers with Eric Clapton, 1965), le guitare héros psychédélique façon Cream (« Wheels Of Fire », 1968), le ritourneur laidback des seventies (« 461, Ocean Boulevard», 1974) ou le repenti débranché fin de siècle (« Unplugged », 1992) ?

Pour ses détracteurs, se poser question c’est y répondre. Trop de cases possibles pour un seul homme. Surtout pour un bluesman. Pourtant, à y regarder de plus près, éclectisme musical et succès populaire n’ont pas toujours été incompatibles avec l’étiquette blues, bien au contraire.

Prenez Robert Johnson. Il chantait « Blue Moon » et se rêvait en Bing Crosby. Charley Patton se remplissait copieusement les poches grâce à un répertoire tout terrain, servant à son auditoire à peu près tout ce qui pouvait se jouer sur une guitare. Quant aux « songsters » des tous débuts, ces sourciers du blues, ils s’adonnaient à la polka et à la ballade irlandaise plus souvent qu’aux accords bleu. Qui peut après çà raisonnablement prétendre que quelques chansons romantiques et un gros paquet de royalties suffisent à prononcer une excommunication.

Surtout que l’homme multiplie les preuves d’allégeance. Après avoir vécu plus que sa part de calvaire (errance toxico, perte de son fils) et finalement purifié son âme avec « Unplugged », il livre successivement « In The Cradle » en 1994, « Riding With The King » en 2000, « Me & Mr Johnson » en 2004. Et chaque fois, avec une sincérité sans faille, il démontre classe et feeling jusque dans les moindres recoins de la gamme blues.

« Unplugged » illustre à lui seul l’acharnement du sort contre sa reconnaissance. Un album truffé de titres quasi folkloriques, joués sur épicéa, sans la moindre fioriture et dont tout défenseur du blues devrait se réjouir qu’ils soient entendus par ne serait-ce que quelques milliers de personnes en dehors du Mississippi. Et bien lui les fait connaître à 14 millions de terriens, indique clairement ses sources dans une célébration sans équivoque des glorieux anciens et, en retour, alourdit encore un peu son passif avec six Grammy Awards acquis sous étiquette MTV.

Eric Clapton se déclare compagnon – « journeyman » – plutôt que maître. C’est beaucoup d’humilité quand tout le monde s’accorde à le classer parmi les grands stylistes. Avec comme signe particulier un délié d’une rare élégance, à la fois tendu et onctueux, qu’il sait admirablement couler jusque dans les déchirures. Cette diction, qui sait rester impeccable à tous les régimes, s’acoquinait à merveille avec le grain saturé de sa Gibson. Sur Fender, et avec des productions de plus en plus léchées, elle s’est progressivement embourgeoisée et a perdu un peu de ce côté cockney qui lui donnait du caractère. Mais l’homme a conservé cet art de la glisse et ce sens de la trajectoire qui font toujours merveille lorsqu’il prend son tour pour un chorus.

Côté voix, le temps et les épreuves lui ont façonné un timbre blues naturel, une qualité plutôt rare chez les musiciens blancs trop souvent ampoulés dans une affection forcée.

Alors que lui manque t’il ? Peut-être de n’a pas avoir composé sur 12 mesures comme il a su le faire au rayon pop. En matière de blues, Clapton est surtout un concessionnaire. Ce grand pourvoyeur d’hommages à ses maîtres est un vulgarisateur au goût sûr. Ce qui le place largement au-dessus des simples repreneurs, même si cela ne constitue pas un véritable patrimoine.

Alors ? Copiste scrupuleux ou génie aux doigts divins ? Gentil caméléon ou premier apôtre ? Les forums spécialisés continuent de résonner des coups échangés par les deux camps. Un point pourtant sur lequel tout le monde s’accorde : il a fait à lui seul pour la cause du blues plus que tous les convertis réunis. Et même si on la lui chipote au coup par coup, nul doute qu’il obtiendra cette satanée reconnaissance pour l’ensemble de son œuvre.

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