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Au début des années 60, cet homme là s’est proposé d’installer des Soul brothers au Sénat américain, de nommer Bo Diddley au gouvernement, passer un shampoing à Fidel Castro et botter les fesses de Kroutchev pour qu’il vire ses fusées de la Baie des Cochons. Tout ça histoire de remettre le monde dans le bon ordre. En pleine guerre froide et en se faisant appeler Louisiana « Le Rouge », il y avait de quoi déconcerter son monde. Mais Louisiana en avait vu d’autre. Et il n’avait d’ailleurs pas fini.
Son blues intense, souvent sombre, s’est nourri des épreuves d’une vie qui ne l’a pas épargné. Red fait partie de ces interprètes à l’expression totale, jamais aussi bien servis que par eux-mêmes tant leur rapport à leur musique est personnel. Entré dans le blues par la voie ténébreuse d’une enfance chaotique, Louisiana Red demeure un des derniers tenants d’une lignée tourmentée, proche des origines et encore habitée des douleurs originelles.
Il faudra beaucoup de temps au public pour prendre conscience de la force presque brutale de sa musique. Des identités multiples et un séjour longue durée en Europe n’ont pas facilité les choses. Du coup, il apparaît aujourd’hui pour beaucoup comme une révélation tardive, un auteur dont l’œuvre émerge sur le tard et dont l’histoire révèle enfin toute la profondeur.
Le blues de Red appartient à l’école des conteurs, celle des John Lee Hooker et des Lightnin’ Hopkins. Des improvisateurs intenses qui vous troussent d’un rien, avec trois quatre images et un gros paquet d’émotion, de drôles de petites histoires à vous donner le frisson. Des gars au pouvoir d’évocation déjà incrusté dans la voix, capables de vous embarquer dans leurs rêves comme dans leurs cauchemars, de remonter aux rives du Mississippi pour vous débarquer, tout penseur, à la sortie de leurs blues habités.
Sa vie n’a jamais été simple. Orphelin précoce, adolescent difficile et perpétuel déraciné, c’est un homme cruellement marqué par la vie, mais ne renonçant jamais, qui finira par obtenir sa chance après des décennies de galères. Autant dire que lorsqu’il attaque son blues, il est difficile de ne pas resté pétrifié par le poids de son jeu.
Côté guitare, Louisiana Red n’est pas un expansif. Chez lui le manche n’est pas un terrain de jeu et les cordes restent amarrées au plus près de mélodies moins progressistes que les idées que l’homme véhicule. A la slide, qu’il violente comme un Elmore James sous pression, où en fingerpicking, Red est un classique. Au fil du temps il a intégré à son jeu des couleurs plus modernes mais dépassant rarement les faubourgs d’après guerre. Ce qui fait de lui, aujourd’hui, le vétéran disposant de la palette downhome la plus complète du circuit, depuis les brouillards bleus de Charley Patton jusqu’aux premiers arcs électriques de Detroit ou de Chicago.
Pour cela, Louisiana Red n’a pas eu à ressortir d’anciennes amours ni à réapprendre des vieux trucs abandonnés à la naphtaline. Quand la mode est revenue au phrasé rude et aux productions dépouillées, il était tout simplement là, comme une évidence et prêt à l’emploi, tel que toujours et enfin en phase avec l’air du temps. Pour la première fois dans sa vie, c’est la soixantaine bien tassée, qu’il s’est enfin trouvé à peu près au bon endroit au bon moment.
On ne compte plus ses albums tant son parcours fut compliqué. Mais pendant quarante ans, il a régulièrement déposé de belles pierres sur le bord de son chemin. Du « Lowdown Back Porch Blues » de 1963 au « Back To The Black Bayou » de 2009, en passant par ce « Blues For Ida B » qui lui valut en 1983 un tardif début de reconnaissance dans son pays, l’œuvre singulière de Louisiana Red constitue un trésor qui vaut d’être recherché.