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Que Barney Kessel et Herb Ellis aient participé à la formation de cet as du chalumeau ne saute pas aux oreilles. Ces deux maîtres en guitare finement jazz doivent d’ailleurs se retourner régulièrement dans leur étui s’il leur arrive d’entendre les exercices de boogie pyrotechnique auxquels se livre leur ancien élève. Tout ça pour dire que Neal Black ne fait pas dans le point de Tulle. Il faut dire que l’homme a du répondant, un gros coffre et une pratique rôdée du rentre-dedans sur douze mesures. Ceci dit, si Neil Black a clairement opté pour la frange virile du blues de son Texas adoptif, il sait le mâtiner de quelques subtilités moins habituelles chez les rois de la muscule. Son penchant pour le Dobro et les ballades introspectives en atteste également. Un style qui le place quelque part entre des puncheurs patentés type Michael Katon et des bluesmen sombres comme John Campbell.
Avec une voix terriblement caverneuse, option éraillée, pour poser le tout. Un père militaire, croisé d’indien Choctaw et de sang irlandais, et une mère allemande élèvent leur fils au gré des changements de caserne. D’abord Washington, puis la Caroline du Nord, à Fayetteville, où ils s’installent au début des années 60. Neal est alors un peu jeune pour succomber à l’invasion du rock anglais, mais il va bientôt craquer sur un de ses inspirateurs, Howlin’ Wolf, entendu sur les disques d’un copain. Il vient de découvrir le blues. Le jeune Warden (Black c’est pour plus tard) commence à balader ses doigts sur des frettes à l’âge de sept ans, et le déménagement de la famille au Texas va le mettre sur sa voie. Ni ses premières attirances country, ni les trémolos surf des Ventures ne résisteront au concert de Johnny Winter auquel il assiste cinq ans plus tard – son mur de Marshall et sa Gibson Firebird. Il gardera par contre un vrai attachement pour Link Wray. Neal bosse l’instrument et à partir de 1978, alors qu’il suit une formation de technicien du son au Grahm College de Boston (Massachussetts), son jeu commence à prendre tournure grâce à un copain de chambrée qui fréquente alors le Berklee College of Music. De retour au Texas en 1979, c’est à San Antonio qu’il décide de suivre des cours au Southwest Guitar Conservatory – là où enseignent quelques grands noms de la guitare jazz – tout pendant qu’il passe ses nuits à jouer du boogie rock dans les boîtes locales. Des endroits où il croise Billy Gibbons et Joe Ely. Il joue souvent avec Gib Wharton, un accro de la pedal-steel, et commence à pointer sa guitare à l’occasion des concerts donnés dans le coin.
Au début des années 80, Neal Warden se fait la main avec son premier groupe, « Dogman & The Sheperds » (Gary Walden à la basse, Rene Lopez à la batterie). Le groupe cartonne dans les bars et sa réputation grandit au-delà de San Antonio. Ils ouvrent pour Albert King, Johnny Copeland, Stevie Ray Vaughan, Leon Russell et quelques furieux blues rockers comme Omar et ses Howlers ou George Thorogood. Mais pour l’instant, Warden se contente d’une vie excitante où un jour ils accompagnent des vedettes de passage comme Jimmy Dawkins ou Papa John Creach, un autre ils côtoient le Paul Butterfield Blues Band et entre les deux il peut retrouver son copain Wharton qui participe à un set jazzy avec Eric Johnson ou Spyro Gyra. Une vie qui lui convient, jusqu’à un projet d’album avec Johnny Copeland qui les font monter à New York, lui et son copain Gib. On est en 1992 et Neal décide de prolonger le séjour. Une embrouille autour du nom du groupe l’empêche de continuer sous l’étiquette Sheperds. Il monte donc « Neal Black & The Healers », que l’on va vite entendre dans des endroits spécialisés de la grosse pomme comme le Manny’s Car Wash ou le Lonestar Roadhouse. Black devient un habitué de la scène blues rock de Manhattan où il côtoie les Blues Traveler, les Holmes Brothers et Popa Chubby. Il apparaît aussi dans des festivals, à Montreux avec les Chambers Brothers, comme à Nottoden aux côtés de Johnnie Johnson. Il a 34 ans et il a déjà bien bourlingué. Mais sans résultat tangible.
C’est via la France qu’il franchit une nouvelle étape. Il signe sur le label parisien Dixiefrog. L’album « Neal Black & The Healers » – sur lequel on retrouve, pour l’occasion, son ami Gin Wharton aux côtés de la seconde guitare de Jimmy Vivino, de Barry Ramus à la basse et de James Wormworth à la batterie – entre de ce côté de l’Atlantique dans le Top 50 et sera édité en 1993 aux USA, chez Flying Fish/Deluge Records. La voix de grenaille lourde et la guitare incandescente signent l’identité du nouveau venu, sur des titres de sa composition. L’année suivante, les Healers tournent au Canada (Montreal Jazz Festival) et en France (Chesterfield Café et tournée Spin Doctors). Le second album sort en 1995 (« Black Power » – Dixiefrog) et confirme le punch du combo. Pendant deux ans, le groupe tourne sans relâche. . En 1998, Black décide de faire une pause et rentre au Texas. Il se consacre à son troisième album, justement intitulé « Gone Back To Texas » qu’il enregistre à San Antonio, toujours pour Dixiefrog, et qui sort en 2000. Pendant ce temps, du côté de New York, le magazine Rolling Stone attribue des lauriers à ses deux premiers disques et place même les Healers parmi les meilleurs performers du moment sur la scène blues rock.
On est en 2001 et le voilà exilé près de Guadalajara, contraint de gagner sa vie en tournant dans les Hard Rock Cafe et en donnant des cours de musique à l’Université Panaméricaine. Il côtoie Jose Fors, le peintre et vedette du métal rock mexicain, rejoignant régulièrement son groupe, Forseps, en studio comme en concert. Au total, une expérience du déracinement qui lui inspire son album suivant, enregistré à Guadalajara. Des morceaux très personnels, sombres et désabusés comme le laisse entendre le titre « Dreams Are For Losers » (Dixiefrog Records, 2003). A côté d’originaux concernés (« Yes I Lied », « Hotel Room In Mexico ») on y trouve deux de ses compositeurs préférés avec le « It Don’t make Sense (You Can Make Peace) » de Willie Dixon et un titre de Link Wray, « Fallin’ Rain ».
Neal Black quitte le Mexique en 2003. C’est en Europe, et particulièrement en France, qu’on le retrouve sur les planches. Un choix plutôt judicieux quand on connaît le goût de l’hexagone pour les types bosselés dotés d’un accent bien rocailleux, à la Calvin Russel. On va souvent entendre Black en compagnie de pointures du cru comme Fred Chapellier et Nico Wayne Toussaint. C’est avec ce dernier, et un autre pensionnaire de Dixiefrog, Leadfoot Rivet, qu’il participe au projet « The Blues Conspiracy ». Un disque qui mêle ses influences texanes avec du Chicago blues et une touche de soul. Dans le même temps son dernier album se fait remarquer sur quelques radios périphériques américaines et en 2005 le voilà lui-même nominé de ce côté ci de l’Atlantique pour le Trophée du Blues dans la catégorie « meilleur guitariste de blues électrique moderne ».
Tournée en Europe puis nouvel album en 2006, « Handful Of Rain », toujours chez Dixiefrog et sur lequel des morceaux comme « Bad Rose Tattoo » entretiennent l’atmosphère d’intensité chère au guitariste. Il participe en 2007 au disque hommage que Fred Chapellier consacre à Roy Buchanan. Désormais installé dans le sud de la France, Neal Black continue de jouer un peu partout son « Texas Blues Rock », un mélange de haute énergie auquel, l’âge aidant, il ajoute, un peu plus souvent encore, des tranches acoustiques et sentimentales. Comme quoi même les anciens métallos peuvent encore se chauffer au bois.