Blind Blake

Blind Blake Blind Blake Rag
huile-toile, 50x50

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Un astéroïde. Il en a eu la fulgurance, débarquant à Chicago, en provenance de nulle part, un jour de printemps 1926, pour atteindre aussitôt le firmament, et disparaître tout aussi brusquement, sans laisser de trace, six ans plus tard. Il en avait aussi la vitesse, un jeu dont la célérité continue de défier, 80 ans plus tard, les tricoteurs de cordes les plus audacieux.

Le nom déjà : Blind Blake. Comme un aventurier de B.D, où un personnage sorti d’un roman d’Agatha Christie. Sauf qu’ici, le mystère est plus épais encore.

L’entre deux guerres ne manque pas de ces musiciens à l’histoire incertaine qui, pour un tas de raisons – contractuelles, sentimentales ou simplement vitales – changeaient leur nom plus souvent que les cordes de leur guitare Avec au bout du compte quelques clichés défraîchis donnant une vague  idée de ce dont ils avaient l’air. Mais le cas Blind Blake dépasse de loin tous les autres.

De lui il n’existe en tout et pour tout qu’une photo. Et une collection de démonstrations de guitare proprement extra-terrestres. Tout le reste, de sa naissance à sa mort, n’est que suppositions et conjectures. C’est pourtant la seule fois où l’on tenait un authentique fondateur en matière de blues.

Car à lui seul Blind Blake a créé une branche entière du « country blues » d’avant guerre. Alors que l’autre pilier, le Delta blues, été apparu progressivement et anonymement dans les plantations du Mississippi, l’« East Coast » blues – où blues du Piedmont – a, lui, carrément jailli des doigts de ce musicien noir, aveugle et surdoué, quelque part sur les trottoirs du Sud Est américain.

C’est lui qui en a défini tous les canons et, dans la foulée, une manière de jouer, le finger-picking, qui va connaître un extraordinaire développement, chez tous les guitaristes, qu’ils soient noirs (Blind Willie McTell, Reverend Gary Davis, Blind Boy Fuller, …) ou blancs (Merle Travis, Chet Atkins,…), revivalistes (Ry Cooder, Jorma Kaukonen) ou progressistes (George Van Eps, Ted Green). On ne voit que Django Reinhardt et son jazz manouche pour avoir marqué l’histoire de la guitare d’une empreinte aussi  singulière, sinon aussi universelle.

L’homme qui faisait « parler » sa guitare, le « Roi de la Corde ». Ainsi décrivait-on déjà Blind Blake à son arrivée chez Paramount, sa compagnie phonographique, qui fera de ces formules ses slogans publicitaires dans le Chicago Defender (le quotidien des noirs de Chicago).

Blind Blake est à la guitare ce que Scott Joplin est au piano. Ce sont des genres à eux seuls, immédiatement identifiables et totalement inclassables. Leur proximité, elle, est évidente. Blake, on  ne sait dans quelles circonstances, a réussi à transposer  sur six cordes le ragtime, ce proto jazz né à la fin du 19ème siècle dans le sillage du cake-walk, et lui-même issu d’un mélange des quadrilles et polkas européennes avec les syncopes rythmiques africaines.

C’est ce ragtime à la Joplin qu’il aimait par-dessus tout. Alors c’est à cet Everest que Blind Blake s’attaque lorsqu’il entreprend de faire sonner une guitare comme un piano. Pour cela, il doit développer une technique de main droite d’une complexité totalement inédite, et proprement époustouflante. Partant de la même intuition, quelques années plus tard, et sur l’autre versant du blues, c’est la pulsation du Delta que Robert Johnson adaptera à la façon d’un pianiste. Le col sera moins haut mais le retentissement pas moindre.

On trouve chez Blind Blake des ornements et des subtilités qu’aucune guitare n’avait encore jamais osés. Sa capacité d’improvisation lui permet d’introduire d’infinies variantes de telle sorte que son jeu, même contenu dans les lois strictes des rags et des blues, semble sans cesse renouvelé. Complexe sans doute, mais aérien et dansant, sûrement. Du coup, la musique de Blind Blake peut s’entendre sans modération et s’écouter avec délectation.

Mais quels trésors de dextérité pour en arriver là. Une « main d’athlète » disait de lui Gary Davis. Et une attaque de corde d’une pureté qui laisse perplexe si on imagine Blake jouer doigts nus. Surtout ce pouce droit, capable de réaliser des syncopes de charleston à une vitesse inouïe, résistant aujourd’hui encore à toutes les tentatives de reproduction.

Etre aussi original questionne forcément lorsqu’on aborde l’appartenance musicale. On a dit de sa musique que c’était des « rags déguisés en blues ». C’est vrai que Blake a sans arrêt tourné autour des deux genres. Et c’est bien le rag qu’il avait dans la peau. Pour preuve, ses disques en comportaient souvent un en première face tandis qu’un blues figurait de l’autre côté.

Ce génial instrumentiste a connu un succès lui aussi exceptionnel. Il est, avec Blind Lemon Jefferson, le premier chanteur guitariste à succès. Au cœur de l’entre deux guerres il fut le plus gros vendeur de disques de la plus importante compagnie opérant sur le marché des « race records » : la Paramount.

Parmi les standards du country blues/rags qu’il a légués : « Early Morning Blues »  (1926), « Too Tight » (1926), « Skeedle Loo Doo Blues » (1926), « That Will Never Happen No More« , « Southern Rag » (1927), « Dry Bone Shuffle » (1927), « Seabord Stomp » (1927), « Blind Arthur’s Breakdown » (1929), « Guitar Chimes » (1929), « Diddie Wa Diddie » (1929),  « Police Dog Blues » (1929) et « Righteous Blues » (1930).

Un des plus grands monuments que le blues ait produit et presque un parfait inconnu.

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