Sleepy John Estes

Sleepy Sleepy John Estes
huile-toile, 65x50

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Sleepy John Estes est un conteur délicieux. C’est aussi un chanteur tragique. Il en a la manière affligée, le souffle douloureux, et ce débit modulé, au  bord du sanglot qui firent dire à Big Bill Broonzy, à son propos, qu’il « pleurait le blues ». Son chant – une première partie projetée violemment, une seconde bredouillée presque indistinctement -  a toujours semblé hors d’âge, au point qu’on le pensait mort depuis belle lurette quand il s’est agi de remettre la main sur les pionniers du blues, au début des années soixante. Personne ne l’imaginait encore vivant. Il n’avait pourtant que l’âge du siècle et vivait, misérablement, dans une hutte, au milieu d’un champ.

Ce qui capte tout de suite l’attention, c’est cette voix, brisée et plaintive, qui s’étrangle dans un falsetto déchiré, une sorte de chant yodlé passé au ralenti, un tremblé mélancolique au cours hésitant. Posé sur des lignes de guitare un peu abruptes – Estes n’est pas un instrumentiste sophistiqué- ce chant flottant confère à ses blues un effet émotionnel submergeant. Et qui rappelle que le blues fut d’abord une complainte, cette vieillerie médiévale qu’il a ressuscitée, magnifiée par l’altération d’une gamme et la pulsation lourde d’un sort funeste.

C’est de cette voix remarquable que John Estes donne vie à une ribambelle d’histoires qui font de son répertoire une large chronique de la vie dans le sud rural. Des mots simplement agencés, incisifs, cousus à même dans l’économie rugueuse de son jeu et que, le plus souvent, l’harmonica de son vieux copain Hammie Nixon vient surligner affectueusement.

Car, au delà de ce talent de portraitiste de l’ordinaire noir, John Estes a été le premier bluesman à marier avec succès les sonorités de la guitare et de l’harmonica. Avec son compère Nixon, ils ont inventé, à la fin des années 20, une alternative révolutionnaire au règne des jug bands. Leur groupe, complété par la mandoline de Yank Rachell, fut historique et servit de cocon au grand John Lee « Sonny Boy » Williamson.

Les chansons de John Estes ont été abondamment reprises. A commencer par ce “Milk Cow Blues” que l’on retrouve un peu partout, de Kokomo Arnold jusque chez les Kinks, ou encore dans le “Leaving Trunk”de Taj Mahal. Quant à “Someday Baby Blues”, il devient le “Trouble No More” de Muddy Waters, puis le “Someday Baby” d’un Bob Dylan qui rendra hommage à Estes dans les notes de pochette de son album “Bringing It All Back Home”. Sans oublier “Drop Down Mama”, enregistré par Led Zeppelin qui reprend aussi “The Girl I Love She Got Black Wavy Hair”, tandis qu’Eric Clapton et les Allman Brothers ont inscrit “Floating Bridge” à leur répertoire.

Tout cela s’est passé sans que Sleepy John Estes n’ait jamais vraiment quitté son champ. Sa carrière discographique a commencé en 1929, au pire moment pour espérer vendre des disques. De 1935 à 1941, son country blues a quand même le temps de connaître un franc succès, juste avant que le genre ne soit balayé par de nouveaux caïds, autrement armés et installés à Chicago. Estes disparait, tombe aveugle et sombre dans une profonde misère. Retrouvé d’extrême justesse, il participe à l’embellie du blues rural sur les scènes folk et jazz des sixties. Dès lors, et jusqu’à sa disparition, en 1977, il va demeurer un propagateur actif du blues du Tennessee.

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