Got to Move

Got to Move Fred McDowell
huile-toile, 61x50

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Les spécialistes de la transe dronique sont longtemps restés confinés dans leurs collines du nord, elles mêmes situées à l’écart du Delta et devenues depuis lieu de pèlerinage en matière de blues ensorcelant. C’était bien avant que Fat Possum ne découvre le filon. C’était un temps reculé où des frappeurs de peaux se sont mis à jouer de la guitare comme du tambour en mieux avec des cordes. Des bons diables cela dit. Comme Fred McDowell , un gars qui rêvait d’être pompiste et en connaissait même un rayon côté bondieuseries.

On est au début des années 60 quand le soudain ressac folk blues ramène d’un coup à la surface de vieux héros rangés des affaires. La plupart sont directement importés du Mississippi pour être livrés, judicieusement crottés, sur des scènes géantes et à des foules médusées. Hurt, Bukka, Williams et même Hopkins, tout un tas de gars formidables sont repêchés in extremis, pourvu qu’ils ressortent leurs tenues anciennes. Comme eux, Fred McDowell a passé la cinquantaine, mais lui est encore un parfait inconnu. Et son blues d’une espèce jamais répertoriée par une compagnie discographique.

Aussitôt porté au pinacle et enregistré à tire larigot, Mississippi Fred McDowell passe sans prémisse de l’anonymat à la notoriété. Son jeu hypnotique fait sensation. Au point d’affoler jusqu’à la frange curieuse du public rock. Tout le monde s’entiche du groove tendu du pompiste de Como. Et l’homme de basculer dans la légende quand son « You Got To Move » atterrit sur la face A d’un des plus grands albums populaires de tous les temps, le « Sticky Fingers » des Rolling Stones.

« Je ne joue pas du rock’n’roll » clame Fred McDowell. Personne ne le pensait. Mais son blues, lourd et dynamique, dégage à peu près la même énergie. Une voix douloureuse, des notes cristallisées sous le verre du botttleneck et une frappe de cordes métronomique. Un style primitif d’une modernité étourdissante quand on pense à tout ce temps où il est resté vierge de tripatouillage dans ce coin paumé où les descendants d’Eli Green ressassaient leur mélancolie voodoo.

Si le répertoire de Mississipi Fred McDowell ne s’éloigne guère de la tradition blues, sauf peut-être que le Ciel y fait plus souvent qu’ailleurs de belles apparitions, sa musique, au motif limité, se révèle quant à elle tétanisante. Un jeu répétitif, rivé sur un seul accord inlassablement travaillé au bottleneck à culot court. Une mesure hypnotique unique devenue la signature de ce coin perdu des collines du nord du Mississippi, déjà responsable de l’usage préservé du fifre et du tambour.

Certains vous diront d’ailleurs que c’est là, quelque part autour de Como et de Gravel Spring, qu’en vérité tout a commencé. Le seul endroit où l’usage intensif de la percussion africaine avait résisté à l’éradication des maîtres blancs. Et c’est vrai qu’à écouter la guitare de McDowell, il y a dans ce martèlement quasi ferroviaire survolé d’une voix sombre et intense, légèrement tremblée, beaucoup de l’héritage de ces transes anciennes.

McDowell n’a jamais travaillé ses gammes. Il s’est concentré sur la glisse. Il a peaufiné l’appendice – d’abord un os de bœuf, puis la lame d’un canif et enfin ce culot de bouteille raccourci – enfilé dans l’annulaire pour garder le doigt souple et pouvoir, quand l’envie lui prend, se livrer à quelque fantaisie mineure tout en pilotant ses cordes jumelles avec la précision d’une patrouille de chasse en plein ciel.

Il n’existe pas d’album médiocre de Mississippi Fred McDowell. Il y a simplement dedans un peu plus ou un peu moins de standards, les « Shake Em’ On Down », « Write me A few Of Your Lines », « Going Down The River » ou autre « Fred’s Worried Life Blues ». De « Mississippi Delta Blues » en 1965 à « Live At The Mayfair Hotel » en 1969, en passant par l’ « Amazing Grace » de 1966, chaque disque livre la magie de sa musique.

Sa carrière durera dix ans. Non qu’il ait fini par lasser qui que ce soit, même si l’âge l’incitait à prendre du recul et les royalties de « You Gotta Move » à se consacrer enfin à son garage tout neuf. C’est la maladie qui le décidera ainsi, mettant fin à l’aventure avant même que le rideau ne soit tiré.
Vingt ans plus tard, les Burnside, Belfour, Ford, Davis et Kimbrough feront redécouvrir à une nouvelle génération ce blues qu’on dit cousin du Delta mais qui est peut-être un peu plus que ça.

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