Furry

furry Furry Lewis
huile-toile, 61x50

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Drôle de bonhomme que ce Furry Lewis, un peu sorcier, un peu clown, un peu philosophe. Un chouette type, qui pour avoir passé une grande partie de sa vie à balayer les rues de la célèbre Beale Street lorsqu’il ne chantait pas sur ses trottoirs, symbolise mieux que quiconque l’histoire de ce lieu légendaire, ces deux kilomètres de Memphis, entre le fleuve et Myrtle, qui ont vu les premiers balbutiements du blues et la naissance du rock’n’roll, soit rien moins que le A et le Z de la musique populaire du 20ème siècle.

Héros local, il a pourtant fallu un sauvetage miraculeux pour que sa renommée dépasse, tardivement, les frontières du Tennessee. Il approche les 70 ans lorsque le folk boom du début des années 60 l’extirpe de l’oubli pour faire renaître ce country blues mélodique que le monde ignorait encore.

Avec Furry le blues est d’abord un spectacle. Il faut le voir jouer avec son coude, attaquer le manche sous des angles acrobatiques, frotter et secouer les cordes avec l’application d’un chimiste manipulant une éprouvette. Et se rappeler que lorsque lui-même s’est lancé, au tournant années 20, cela faisait déjà un bon demi-siècle que des gars utilisaient la musique pour amuser la galerie.

Routard précoce, estropié par un train qu’il voulait attraper au vol, c’est sur une jambe que ce pittoresque saltimbanque passé par l’école des “medecine shows” a mené une vie à peaufiner son numéro, même si pendant trente ans son public s’est résumé aux flâneurs de Beale Street et aux amis qui passaient chez lui, le trouvant immanquablement à jouer de la guitare sur son lit, avec une bouteille de Jack Daniels Black Label toujours à portée.

Le blues de Furry Lewis reflète l’histoire de Memphis, carrefour des musiques, les noires comme les blanches. On y entend des accents du Delta, un peu du folk des Appalaches, des refrains de Tin Pan Alley, le ragtime des barrelhouses et même une pointe de spirituel chipé à l’église.

Comme c’est aussi un grand conteur, et qu’il sait mieux que quiconque travailler un public, Furry Lewis devient naturellement la coqueluche des universités et des festivals folk du début des années 60 quand, retrouvé par un de ces anthropo-musicologues obstinés lancés sur les pistes du country blues, il captive des foules entières avec ses sets hautement émotionnels, lui-même pouvant pleurer comme un enfant où bien rire jusqu’aux larmes pendant qu’il mêle ses chansons et ses histoires.

Son répertoire est moins abondant que ne le laisse supposer l’enchevêtrement discographique le concernant. Mais Furry Lewis, qui ne joue jamais ses blues deux fois de la même façon, tient un auditoire sans même avoir besoin de changer de morceau. Ses premiers enregistrements effectués sans succès à la fin des années 20 définissent son terrain de prédilection, la reprise d’airs traditionnels (« Stack-O-Lee », « Kassie Jones », « John Henry »). Impeccablement réenregistrés trente ans plus tard, ses old time blues donnent à ses albums le statut de témoins précieux d’un temps où le blues venait de naître.

Le jeu de Furry Lewis se situe entre le piqué de John Hurt et la fougue de Blind Lemon Jefferson. Sa marque est de mêler indifféremment slide et finger-picking, créant, par la fluidité de leur alternance au sein d’un même morceau, un vocabulaire d’une étonnante richesse. Sur ces assemblages harmoniques il chante d’une voix douce, un peu acidulée, vibrante d’émotion et capable d’accès soudain de fièvre. C’est un “songster” à l’ancienne, capable de sublimer de vieux standards comme cette version de “John Henry”, un des plus beaux exemples d’apothéose tardive apportée par un interprète à une œuvre ancienne.

De tous les héros qu’a comptés Memphis, Furry Lewis est peut-être le plus humble. Sur les circuits touristiques il ne fait aucune ombre aux géants de la ville, le vénérable W.C Handy, l’icône B.B King, et bien sûr le du roi Elvis. Le souvenir du balayeur de Beale Street lui, se cultive ailleurs, dans le cœur de la ville.

 

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