Devil Son in Law

Devil Son in Law Peetie Wheatstraw
huile-toile, 41x33

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Dans les années 30, ils ont tous adopté la manière de Peetie Wheatstraw, une sorte de déhanché vocal légèrement pâteux que Leroy Carr avait mis au point et qui fit fureur dans les ghettos. Pendant qu’on y est, rappelons que ce Peetie là était en cheville avec un certain Lucifer, qu’il ne l’avait pas rencontré par une nuit sans lune à quelque sinistre carrefour, mais annonçait, sans plaisanter, en être tout simplement le gendre. Un gars à prendre au sérieux – par conséquent.

Peetie Wheatstraw a enregistré plus de 160 titres en onze ans de carrière, qui plus est pratiquement tous édités. Quant on sait que tout cela s’est passé pendant la pire décennie de l’histoire de l’industrie du disque américaine – laminée par la Grande Dépression – on mesure mieux l’ampleur du succès que cela signifie. Si on y ajoute la ribambelle de morceaux auxquels il a participé – pour Kokomo Arnold, Charley Jordan, Casey Bill Weldon, Leroy Henderson, Jimmie Gordon et bien d’autres – cela fait de lui un des artistes de blues les plus prolifiques de l’entre-deux guerres.

Un répertoire dont tous les titres ont un petit air de famille et qui a fait de lui un homme d’influence. De “Tennessee Peaches Blues” à “Pawn broker Blues”, de “Police Station Blues” à “Crazy With The Blues”, des morceaux que Peetie Wheatstraw interprète le plus souvent en s’accompagnant lui-même au piano et quelquefois à la guitare, et autant de blues qui ont en commun d’asseoir cette sorte de distance vocale nonchalante qui symbolise le tournant du genre et son entrée dans la modernité.

Chanteur immensément populaire dans les quartiers noirs des métropoles américaines, Peetie Wheatstraw y fait un ravage avec cette articulation lâche, aux syllabes shuntées, comme absorbées, ou bien posées de guingois, qui bat en brèche les manières de music-hall comme les harangues champêtres parce qu’il sied au blues comme une évidence. Une diction qui portera jusqu’à Dylan et Hendrix, puis deviendra un art à part entière avec le hip hop. Même si en son temps, pour cela comme pour ses inamovibles intros de huit mesures, Wheatstraw a parfois été raillé.

Ce qui est sûr, c’est qu’en laissant traîner sa voix pendant qu’il attaque le clavier du piano à la manière des stylistes de Saint-Louis, Peetie Wheatstraw ouvre un chemin dans lequel vont s’engouffrer nombre de ses contemporains, à commencer par Robert Johnson qui lui doit beaucoup. Le “Grand Sheriff des Enfers” est aussi parmi les premiers à avoir, cette fois dans le sillage de Lonnie Johnson, travaillé ses parties instrumentales en fonction des climats qu’il voulait suggérer. Une manière expressive que des Champion Jack Dupree et Charles Brown reprendront avec succès.

C’est une National Resonator en main qu’on découvre Peetie Wheatstraw sur la seule photographie qui nous en est parvenue. C’est pourtant un pianiste avant tout et on entend le plus souvent sur ses disques les cordes de Kokomo Arnold, Charlie Jordan, Lonnie Johnson, Teddy Burn ou Charlie McCoy. Cette versatilité lui a valu d’être parfois jugé d’un peu haut par les spécialistes de chaque instrument. Ce qui n’enlève rien à l’efficacité de ses blues dont l’impact doit aussi beaucoup à des paroles pétries du quotidien de la communauté noire et à ce bagout gouailleur, mâle et fanfaron, qui constitue une sorte de prémices aux manières rap.

Peetie Wheatstraw lance des “Oooh, Well, Well” à tous les coins de ses blues – et immanquablement au détour du troisième vers de chaque couplet – tandis qu’il raconte, mi jovial mi inquiétant, les femmes félonnes, les plaisirs de l’alcool où la difficulté des temps. Un tic qui devient sa signature, au même titre que ses sobriquets sataniques, et dont on retrouve la trace, à l’intonation près, jusque dans le “Terraplane Blues” de Robert Johnson.

Peetie Wheatstraw a passé l’essentiel de sa vie dans le coin le plus chaud de St Louis, sur le bord Est de la ville. Sa réputation y est vite devenue telle qu’il n’a jamais eu besoin de courir les routes pour trouver du travail. Le “Gendre du Diable” était un gars plutôt tranquille, fidèle à son quartier et aux deux labels, Vocalion et Decca, sur lesquels il a gravé tout son répertoire. Son humeur, d’abord si jovial, avait tourné les derniers temps et ses histoires n’avaient plus rien de drôles, moitié prémonitoires même, pour celui qui meurt dans le fracas d’une Buick écrasée contre un train, le jour de ses 39 ans.

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