Angola Blues

Angola Blues Robert Pete Williams
huile-toile, 65x50

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Il a débarqué tout cru, avec son blues polyphonique et son chant clamé. Quelque chose entre l’Afrique ancestrale, les litanies monocordes du Delta et l’esprit modal du jazz d’avant-garde. Un art du lancinant, ancré dans les hollers et tourné vers le pointillisme des post boppers de chez Blue Note. Instinctif, dramatique et intense, tel était Robert Pete Williams, premier et ultime country bluesman free.

A l’instar de Mance Lipscomb et Fred McDowell, Robert Pete Williams n’avait jamais enregistré, ni même seulement imaginé le faire, lorsque le courant folk blues du début des années 60 l’a précipité sur les scènes universitaires américaines, l’extirpant pour cela du pénitencier d’Angola où il était censé finir ses jours pour s’être défendu à coup de revolver d’un type, blanc et déterminé à lui faire la peau.

Aux côtés d’une escouade de héros oubliés – Son House, Skip James, Mississippi John Hurt – Robert Pete Williams révèle alors à une Amérique, charmée et soudain attentive, cette musique que sa jeunesse noire, elle, a déjà définitivement rayée de sa mémoire.

De tous ces bluesmen acoustiques, Williams est le plus déroutant. A la fois spontané et méditatif, rustique et complexe. Son pouvoir émotionnel est presque brutal, fait de contrastes saisissants entre une syncope hypnotique et la limpidité virevoltante des notes de sa guitare. Pour le décrire, certains iront jusqu’à évoquer des révolutionnaires : Mingus, Miles, Coltrane. Un comble pour cet ouvrier des campagnes qui ne lit pas la musique – ni rien d’autre d’ailleurs, vu qu’il n’a jamais mis les pieds dans une école – et borne volontiers son terrain à un seul accord et sans même regarder aux formes que le blues est censé suivre.

Le résultat est proprement fascinant. Tandis que son pied martèle le sol, et que d’un pouce courbé comme une faucille il découpe des mesures flottantes sur les cordes graves de son Harmony Archtop, ses doigts picorent des notes cristallines le long du manche, improvisant, sur d’étranges harmonies, des sonorités – parfois presque des dissonances – comme le blues rural n’en a jamais produites. Des paroles jaillissent par saccades fiévreuses, attaquées tel un cri et qui s’éteignent le plus souvent dans l’amorce d’un sanglot.

Interrogé, Robert Pete Williams s’explique en invoquant l’effet de l’air qui vibre autour de lui, l’éther des choses, tous ces trucs qu’il ressent et qui le poussent à saisir sa guitare et laisser filer ses doigts tout pendant que des mots s’emparent de sa voix. Ses plages – on hésite à parler de chansons chez Robert Pete Williams – se présentent comme des voyages intérieurs, des improvisations dont il semble lui-même être un simple chamane. D’ailleurs, si cela ne tenait qu’à lui, il ne leur donnerait pas véritablement de nom.

Son répertoire – terme tout aussi impropre puisqu’il ne joue jamais vraiment deux fois la même version de ses blues – regorge de longues pièces aussi rayonnantes que ténébreuses. A commencer par l’incontournable « Prisoner’s Talking Blues » dans l’improvisation duquel il s’est lancée ce jour de 1958 où, sorti de sa cellule, il a joué devant le professeur des universités venu récolter des work songs sur son petit magnéto portatif. « La souffrance nue d’un homme » dira Peter Guralnik à son propos.

Pour le reste, inutile de chercher à distinguer quelque titre. Il faut juste savoir qu’il n’en ait aucun de négligeable. Tout est affaire de circonstance, d’humeur, de ces affaires intimes et changeantes pour lesquelles il y a toujours un blues de Robert Pete Williams pour être, à cet instant, le plus émouvant du monde.

Comme tous ses pairs du revival folk blues, Robert Pete Williams a enregistré une série de disques dont les non initiés considèrent qu’ils se ressemblent un tantinet. Il est vrai que l’album initial, le bien nommé « Free Again », s’avère difficilement surpassable. A sa suite, son auteur est devenu un incontournable des festivals progressistes, tournant régulièrement sur les campus universitaires. Si sa musique est restée aride, il a quand même appris à devenir un artiste à part entière et élargi son répertoire pour adoucir un peu son jeu. Et quand la mode du country blues s’en est allée, cela n’a pas dérangé outre mesure celui qui n’aura jamais vraiment cherché plus loin que la compagnie de ses voisins, le samedi soir, sur un back porch, après le boulot.

 

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