Pour tous ceux qui aiment leur blues bien créole, douze mesures, même bleuies au meilleur fer, ne suffisent pas toujours à atteindre la sacro sainte température en dessous de laquelle tout bon sang louisianais ne saurait bouillir. Pour ceux là, la famille Neal, et Kenny en particulier, constitue une valeur refuge, un foyer d’indolences moites, de vapeurs du marais et de titillements colorés parvenus des farandoles néo orléanaises.
Si le « fils de » Raful Neal, lui-même disciple de Slim Harpo et maître du swamp blues, a internationalisé le label familial, on compte en tout pas moins de trois générations et onze Neal au service de la cause. Du blues au funk et au hip-hop, en passant par le jazz, peu d’arcanes de la nébuleuse afro américaine échappent à la dynastie.
Multi instrumentiste première langue, Kenny Neal a trempé ses doigts dans toutes les décoctions du vieux Sud. Son jeu mêle habilement des courants venus d’un peu tous les étages du Mississippi. Une recette qui, bien au-delà des clameurs de mangroves, lui permet de rallier à sa cause les amateurs de déhanché funky à la sauce Memphis comme les inconditionnels du bon vieux Chicago blues. Sensualité swamp, enjoliveurs jazzy et poussées R&B donnent à son blues un tour indéniablement aguichant. Robert Cray, Larry Gardner et Lonnie Brooks ne sont pas très loin.
Le goût des couleurs cuivrées, un sens du temps aiguisé par une première vie de bassiste et une facilité déconcertante à ficeler des chorus bien charpentés, voilà autant d’ingrédients qui rendent la musique de Neal invariablement intéressante, toujours très fouillée et donc particulièrement résistante à la répétition des écoutes. Avec un signe distinctif : des arrangements rythmiques particulièrement dynamiques qui propulsent ses morceaux un peu au-dessus des rendements habituels. Excellent chanteur de surcroit, ce Neal là possède indéniablement le bon mojo.
Une carrière bien calée entre albums au-dessus de tout soupçon et tournées au long cours, une cote toujours au beau fixe et une vie épanouie, tout semblait vouloir sourire à un Kenny Neal sur le berceau duquel quelques bonnes fées (Slim Harpo, Buddy Guy,..) avaient effectivement été vues affectueusement penchées. Mais le blues finissant toujours par demander sa part, Kenny rencontre au milieu des années 2000 l’épreuve de sa vie. Famille décimée, maladie, une concentration de malheurs ébranlent le bluesman le plus souriant du circuit. Trois ans d’éclipse s’ensuivent dont il ressort le blues plus que jamais chevillé au corps, brandissant à nouveau sa musique, cette fois lestée de cette dose de souffrance dont l’art finit toujours pas se nourrir. « Let Life Flow », l’album du come-back, croule sans surprise sous les Grammies.
Revenu aux affaires et maître de son jeu, le chantre des bayous, enfant doué du blues et festoyeur de scène digne des fêtes zydeco accroche désormais sa Telecaster dans la catégorie – toujours un poil supplémentée – de ceux qui ont aussi franchi l’Epreuve et ne s’y sont pas perdus. De sa collection d’albums, il n’y a pratiquement rien à jeter. Tous possèdent leur part de ce feu qui couve toujours dans sa musique.