Il faut un peu de recul pour prendre toute la mesure de John Mayall. C’est comme pour les photos de famille. Et Mayall, c’est justement une histoire d’une famille, grande, un peu turbulente et perpétuellement recomposée, celle des Bluesbreakers.
C’est dès 1946 que ce britannique, alors âgé de 13 ans, tombe dans le blues. Soit quasiment dix ans avant tout le monde de ce côté-ci de l’Atlantique. Longtemps simple musicien par plaisir, il a déjà 30 ans quand l’autre grande figure du « british blues », Alexis Korner, le découvre et le pousse à tenter sa chance. Il quitte alors Manchester et la publicité pour Londres et sa scène blues.
On est en 1963, John Mayall crée les Bluesbreakers et démontre rapidement un flair redoutable pour dénicher les jeunes talents qui l’accompagnent. Dans une Angleterre en pleine effervescence créative, sa formation va vite devenir une véritable pépinière où s’initient aux 12 mesures de jeunes surdoués appelés à mettre au monde la fusion du rock et du blues au sein des groupes phares des sixties (Cream, Free, Fleetwood Mac, Colosseum,..). Avec au premier rang Eric Clapton, Mick Taylor, Peter Green, Jack Bruce, John McVie, Mick Fleetwood, Ainsley Dunbar. Beaucoup d’entre eux connaîtront la gloire fulgurante tandis que lui gagnera la reconnaissance avec le temps.
Celui qu’on appelle le « Parrain du British blues » (Alexis Korner en ayant été déclaré le père un peu plus tôt) exerce une autorité incontestée sur toutes ces jeunes pousses. Seul inconvénient, ça bouge sans arrêt dans la maison Bluesbreakers. Ils seront en tout… 76 à fréquenter l’atelier du maître !
John Mayall, c’est avant tout un bâtisseur. Il pense sa musique comme un classique compose ses symphonies. Il existe peu d’exemple de blues aussi soigneusement arrangé que celui de Mayall. A l’image d’un Duke Ellington, il sait composer de véritables pièces musicales. Et ce genre, auquel rien ne va pourtant mieux que la rusticité, se trouve le plus souvent étonnement mis en valeur par cette sophistication, gardant même dans l’exercice l’essentiel de son pouvoir émotionnel. Cela exige de chaque musicien qu’il serve la partition préparée par Mayall plus que ses propres inspirations. « Je sais ce que je veux. Je suis un leader, c’est sûr. Donc c’est moi qui écris les morceaux, désigne les solistes et décide quand un solo commence et quand il se termine ». On ne peut être plus clair !
Résultat : une musique à la fois variée et d’une homogénéité impressionnante. Elle est aussi immédiatement repérable, avec cette voix lisse flottant au-dessus d’architectures instrumentales souvent proches du jazz.
A la base, c’est du Chicago blues, celui de Muddy Waters, Elmore James ou Sonny Boy Williamson II dont le jeune John s’est injecté des doses massives en piochant dans la collection de 78 tours d’un père grand amateur de jazz. Repris en langage Mayall, le modèle original demeure très palpable mais la matière est traitée avec cette touche spécifiquement britannique d’esthétisme et d’audace qui en régénère immédiatement l’impact.
Le premier succès arrive en 1965 avec un album devenu culte, « Bluesbreakers, John Mayall with Eric Clapton ». Un monument qui bouscule le blues électrique en faisant franchir le mur du son à des morceaux venus des mains des Freddy King, Otis Rush ou Buddy Guy.
Après ce premier coup de maître, Mayall va faire preuve d’une créativité intense. Plus ou moins malgré lui, il tire profit de la diversité des talents qui passent au sein des Bluesbreakers. Les albums suivants enchaînent un quasi sans-faute : « Hard Road » (1967, avec Peter Green), « The Blues Alone” (1967, avec Mick Taylor), « Bare Wires » (1968, avec la moitié du futur « Colosseum »), « Blues From Laurel Canyon » (1968), « The Turning Point » (1969), « Empty Rooms » (1970). Autant d’albums devenus incontournables pour les amateurs de blues à la sauce anglaise.
Sur cette lancée, sans jamais trahir l’esprit du blues, le chercheur Mayall va de plus en plus innover et expérimenter, flirtant avec le free-jazz, s’éloignant parfois des racines (« Jazz Blues Fusion », 1972 ) pour mieux y revenir, parfois dans le plus simple appareil (« The Last Of the British Blues », 1978). Il va ainsi construire une carrière jalonnée par une des plus impressionnantes séries d’albums jamais enregistrée (57).
Père de famille discret, il mène une vie simple entre Californie et Angleterre, entre tournées et studios. Ni ses incursions dans le jazz ou le funk, ni ses contre-pieds stylistiques, ni quelques albums moins inspirés, rien ne semble pouvoir affecter son statut d’icône forgé dans la durée, fait d’authenticité et de fidélité au blues. Mayall vieillit comme un bon vin dont le temps souligne les arômes. Décennie après décennie, avec ou sans les Bluesbreakers, il continue même de livrer régulièrement de très bons crus (« Wake Up All » en 1993, « Spinning Coin » en 1995, « Stories » en 2002, « In The Palace Of The King » en 2007).
Figure tutélaire du blues blanc, Mayall cultive depuis maintenant plus de quarante ans une flamme toujours aussi enthousiaste, ce qui lui vaut en retour l’attachement d’un public fidèle et reconnaissant.