My Creole Belle

My Creole Belle Mississippi John Hurt
huile-toile, 55x46

cliquez sur l’image pour l’agrandir !

Des comptines fragiles et intemporelles, un finger-picking à trois doigts pour le piqué duquel il ne se déplaçait jamais sans sa lime à ongle, et un pouce comme une section rythmique. Tel était Mississippi John Hurt, un homme comme on ne peut en imaginer de plus doux et un maître de la décoration florale.

Ses blues étaient pleins de lumière. Au point de se demander parfois s’ils en étaient vraiment. Ou alors peut-être les ultimes karmas de toutes ces douleurs, l’état finalement apaisé de la musique bleue.

Deux fois seulement dans sa vie Mississippi John Hurt s’est éloigné du champ qui le nourrissait. La première, en 1928 pour enregistrer des chansons si douces que l’époque, devenue soudain terriblement difficile, n’eut pas le cœur de les écouter. La seconde, 35 ans plus tard, entre 1963 et 1965, lorsque ces mêmes poésies musicales, miraculeusement préservées, émergèrent pour entrer en résonance parfaite avec la sensibilité d’une génération américaine blanche, rêveuse et concernée.

La musique de Mississippi John Hurt, n’avait jusqu’alors nourri aucune mode, et certainement pas son auteur quand, d’un coup et après avoir été cru mort, celui-ci s’est retrouvé légendaire et soudain poussé vers une lumière qu’il n’avais jamais recherché. Le miracle fut que pendant tout ce temps, isolé du monde et perdu dans sa campagne, son art soit demeuré intact.

L’oeuvre de cet ouvrier agricole du Delta est un mystère, une sorte d’immaculée conception. Plus proche du banc d’église que du plancher des juke-joints, elle ne révèle aucune trace du blues percussif d’un Mississippi qu’on a ajouté à son nom par pur opportunisme commercial. Quant à ses basses alternées, elles ont trop de bouquet, et ses lignes mélodiques sont trop émotives, pour devoir quelque chose à l’autre école, celle de la Côte Est, dont il a tout ignoré.

On est ici plutôt ici du côté de cette « old time music » qui fut le creuset commun au blues noir et à la country blanche, avant que la ségrégation n’isole les deux communautés. Des rags (« Salty Dog », « Nobody’s Dirty Business »), des spirituals (« Blessed Be The Name », « Praying On The Old Camp Ground »), des chants de travail (« Spike Driver Blues »), quelques blues véritables (« Avalon Blues », « Monday Morning Blues », « Got The Blues Can’t Be Satisfied ») et beaucoup de ballades folks (« Casey Jones », « Frankie ») ont fait de son répertoire un ensemble aussi désuet qu’éternel . Des « My Creole Belle » et « Candy Man » ont quelque chose d’immuable et de tendrement universel.

S’il faut trouver des affinités, on citera des texans (Mance Lipscomb, Robert Wilkins), une légende du folk-blues (Blind Willie McTell), des gars de Memphis (Frank Stokes, Furry Lewis) et peut être Elisabeth Cotton.

Ce jeu intime, chaud et mélodieux, idéal pour envelopper de petits auditoires s’est montré, le moment venu, étonnamment capable de se projeter à travers de grandes foules. Icône instantané de la génération folk, c’est jusque chez le Bob Dylan de « Girl of The North Country », dans presque tout Donovan et parmi les hippies californiens (Grateful Dead, Jefferson Airplane) que l’on trouvera l’influence inattendue de ce chanteur à la voix suave et au jeu exceptionnellement fluide.

A 69 ans, c’est un artiste intact qui reprit sereinement le cours de sa musique. Et lui qui n’avait même plus de guitare et avait chichement vécu pendant tout ce temps de maigres revenus agricoles, ne montrait aucune amertume. Bien au contraire, celui qui était devenu la coqueluche de Greenwich Village promenait sa bonhomie amusée comme un patriarche attendri au milieu d’une fervente descendance.

Puis, après trois années de célébrations enthousiastes et de communions générationnelles, John Hurt, l’homme qui rapprochait le folk et le blues, le Mississippi et le Piedmont, le profane et le séculier, les jeunes et les anciens, les noirs et les blancs, l’homme au regard de shaman tranquille a discrètement refermé son conte de fée pour retourner près d’Avalon et s’y endormir une dernière fois, tranquillement, son éternel sourire aux lèvres.

This entry was posted in Peintures and tagged , , , . Bookmark the permalink.